Christine de Pisan

Christine de Pisan

mercredi 14 juin 2017

Odile Buisson : interview à propos de son livre : " Sale temps pour les femmes "











" La révolte d une gynécologue obstétricienne
La mode écolo, le retour du religieux
et l ultralibéralisme contre la santé des femmes "















C.E.R.F. :

A la lecture de votre livre, on a l’impression que la question des soins médicaux pour
les femmes - et les nourrissons – va ou devenir un des principaux thèmes de
mobilisation  des féministes dans les années prochaines … : cette impression est-elle juste ?

Dr Odile Buisson :

 Je n’en suis pas certaine car l’Etat procède très insidieusement. Par exemple, l’accouchement avec douleur ou le retour précoce à domicile sont présentés comme plus humain et plus écologique. L’impossibilité d’un accès rapide à une consultation gynécologie médicale est expliquée en raison des « déserts médicaux ». Désert médical, oui mais créé par qui ? Par les décideurs !

C.E.R.F. :

 Vous terminez votre livre par une illustration frappante du degré de régression
possible en matière de droits des femmes, et du degré d’intériorisation par des femmes elles- mêmes de normes de comportements aliénantes : quel est le point sur lequel la régression  vous parait la plus présente ou menaçante aujourd’hui ?

Dr Odile Buisson :

Ce qui me surprend le plus c’est cette séquence « accouchement traditionnel- allaitement maternel- retour précoce à domicile- lavage de couches ». On ne peut pas mieux indiquer aux femmes le chemin du retour à la maison !  Ce n’est évidemment pas présenté comme cela alors on met en avant l’écologie, le bien-être, le chemin initiatique etc. C’est extrêmement insidieux et le danger est  de ne pas voir ce que cela implique à savoir une reprise de dressage des femmes

C.E.R.F. :

Vous parlez de retour du religieux, d’un besoin religieux, et vous lui opposez … la
santé  du bébé dont les neurones ont été bien oxygénés … Avez-vous une idée de la façon de  répondre à des courants d’idées qui font oublier les nécessités vitales à ce point ?

Dr Odile Buisson :

La création de pôles physiologiques dans les maternités est une solution appropriée. Ceci permet aux femmes d’accoucher comme elles le désirent et avec qui elles veulent, sages-femmes ou médecins. Les mamans peuvent changer d’avis si les douleurs sont trop insupportables et obtenir immédiatement un soulagement médical. De plus comme les maternités publiques sont laïques, il n’y a pas de risque de dérive religieuse ou sectaire.

C.E.R.F. :

 Votre livre montre les aberrations, les dangers auxquels ils aboutissent, il a
quasiment  le même titre que le manifeste chinois de la fin de la révolution culturelle « Chinois si  nous saviez…. » : faut il expliquer les problèmes « techniques » de rejet de la
médecine  ou bien faut il une « révolution » nouvelle de nos idées ?

Dr Odile Buisson :

La médecine est rejetée parce qu’elle ne peut toujours pas éradiquer la maladie ou la mort. Il y a encore de l’incertitude et du doute. Les charlatans, eux savent faire rêver en donnant des certitudes, fausses évidemment. Et puis la médecine soigne trop souvent la maladie plutôt que le malade. Les progrès de l’imagerie médicale ont éloigné le médecin du patient, les machines et les protocoles sont venus progressivement s’interposés entre eux. Nous devons revenir à une médecine de proximité et les machines ne doivent pas nous en empêcher.

C.E.R.F. :

Quelles sont les risques les plus importants pour les femmes qui résulte(rai)ent de la
 réduction des soins gynécologiques : quels sont les principaux soins dont les femmes
devraient bénéficier et dont elles risquent d’être privées ou de « négliger » ?

Dr Odile Buisson :

Je pense aux traitements hormonaux de la pré ménopause et de la ménopause qui nécessitent de savoir manier correctement les hormones. Le dépistage du cancer du sein risque d’être moins performant car 20% des cancers non visibles à la mammographie sont dépistés par les gynécologues. Nous avions jusqu’à présent un taux d’hystérectomie de 6% en raison d’une gynécologie de proximité, en Europe le taux d’hystérectomie est de 20 à 30%. Les anglais essayent de baisser leur taux d’hystérectomie mais ils n’y arrivent pas en raison de l’absence de gynécologie médicale. Or une hystérectomie peut entrainer des troubles sexuels secondaires en raison de la dénervation du petit bassin.


C.E.R.F. :

Existe- t-il une «liste » de ces soins basiques pour lesquelles les femmes devraient être  vigilantes et exigeantes ? (Idem pour les soins non basiques, dont vous citez plusieurs  exemples dans votre livre, avec des conséquences graves en cas de défaut de présence médicale)

Dr Odile Buisson :

Un bon équilibre hormonal, une contraception adaptée et personnalisée, un dépistage régulier des cancers gynécologiques, la prévention et le traitement des infections gynécologiques. Il faudrait aussi permettre aux mamans de se reposer suffisamment après l’accouchement, c’est l’évidence et pourtant…

C.E.R.F. :

Dans votre livre, vous montrez que pour justifier la réduction des soins médicaux et
une véritable politique de « profits » au dépens de la santé, les pouvoirs publics accusent
 les médecins et laboratoires pharmaceutiques … d’être eux-mêmes des « profiteurs ».
Vous  parlez aussi des effets de panique créés par les informations sur les pilules. Quel
conseil donneriez-vous, lorsque l’on n’est pas soi-même médecin, pour être bien
informée  et se forger une opinion, en tant que patiente ou militante, sur les meilleurs soins ou  politique de santé ?

Dr Odile Buisson :

Je ne vois pas autre chose que de prendre le temps d’une consultation spécialisée.
Vous pouvez aussi vous renseigner sur le site de l’agence du médicament et sur celui du collège national des gynécologues obstétriciens français ( cngof).


C.E.R.F. :

 A propos des jeunes, vous montrez des exemples de manque d’information sur la sexualité
 et la fécondité, et aussi, vous montrez la pression subie par des très jeunes filles
pour  avoir des relations sexuelles pour « garder » leurs petits amis. Pour des féministes,
il est navrant de voir qu’une jeune fille n’a pas appris à refuser cette forme de
chantage, à comprendre que ce n’est pas une attitude aimante, il est navrant aussi de voir
 l’influence du porno sur les jeunes garçons et filles, dont parle I. Nisand … Il y a-t-
il  un manuel d’éducation « sexuelle / amoureuse » que vous recommanderiez, ou pensez-vous qu’il reste à écrire ( à jour sur l’anatomie féminine par exemple …) ? Comment
faudrait-  il à votre avis informer les jeunes sur ces questions ?


Dr Odile Buisson :

Le professeur Nisand a créé le site « info ado » où à toute question posée par un adolescent, un psychologue ou un membre de son équipe répond immédiatement.
Les questions sont   anonymes et les jeunes gens sont certains d’avoir une réponse fiable et pertinente.Par ailleurs je crois que l’éducation sexuelle devrait davantage parler d’amour, de relation interpersonnelle et de la réalité du sexe. De la réalité du sexe et non de ses représentations pornographiques mais cela implique de dire les choses simplement et très directement soit expliquer ce qu’est une excitation sexuelle, un coït, un orgasme, expliquer les positions et les gestes de l’amour etc. Il est également nécessaire de procurer aux adolescents des planches anatomiques correctes et non les images d’Epinal des livres de SVT !

C.E.R.F. :

Avez-vous lu le livre et le site « J’ai avorté et je vais bien merci » et si oui qu’en pensez-vous ?

Dr Odile Buisson :

Je crois que l’IVG, peut être vécue très différemment d’une femme à l’autre. Mais en règle général, c’est une expérience moralement douloureuse car très culpabilisante. Même si la culpabilité peut être refoulée sur le moment.

C.E.R.F. :

Le Planning Familial refuse de parler de la grossesse par souci de ne pas blesser les femmes qui demandent un avortement, en présumant qu’elles savent ce qu’elles veulent, les opposants à l’avortement disent que des femmes sont traumatisées ensuite, et que si elles savaient  comment est le fœtus réellement, sa taille etc, elles n’avorteraient pas : est ce que à  votre avis les femmes sont assez informées aujourd’hui avant de venir demander une IVG ?

Dr Odile Buisson :

Le fait est qu’on est le pays d’Europe qui a le plus fort taux d’IVG alors que nous sommes aussi le pays dont les femmes sont le plus contraceptées. 8 femmes sur 10 ayant un risque de grossesse utilisent un moyen de contraception et malgré cela plus d’un tiers de femme aura recours à l’IVG une fois dans leur vie. Cette situation paradoxale montre bien qu’il existe un défaut d’information dans la prévention des grossesses non désirées et ceci est particulièrement marqué chez les très jeunes femmes. Mais c’est surtout l’opprobre sociale ou parentale de la sexualité des jeunes qui empêche ceux-ci de prendre une contraception. Ils ont l’impression de trahir leurs parents et ont donc des conduites à risque.


C.E.R.F. :

Sur le point particulier de l’allaitement, des médecins expliquent que la composition
du lait humain est plus adaptée que celle des laits maternisés : est-ce que vous partagez
cet avis ou pas, et si oui, cet avantage pour la santé de l’enfant risque d’être
balancé  (y compris pour les bébés) par les effets de la fatigue de la mère, ne faudrait-il pas
mieux aider les femmes voulant (et pouvant) allaiter afin qu’elles puissent se reposer par ailleurs pendant cette période ?

Dr Odile Buisson :

On sait que le lait maternel est meilleur pour l’enfant en matière de croissance et de prévention des infections. Ceci dit, ce n’est pas un drame si on préfère donner des biberons. L’important est de se sentir bien avec son enfant, de ne pas tomber de fatigue ou de ne pas lui en vouloir parce que donner le sein est ressenti comme une contrainte. La relation mère-enfant n’est pas forcément dépendante de la mise au sein et celle-ci ne doit pas devenir problématique au point de désespérer la maman.

C.E.R.F. :

Vous citez une femme qui a allaité 3 ans … : est ce qu’il existe une durée d’allaitement « idéale » (de zéro jours à X mois ..) ou est-ce que chaque cas est particulier ?

Dr Odile Buisson :

 Les pédiatres généralement recommandent au minimum 3 mois, après chacun fait ce qu’il veut en fonction de ses conditions de vie et de son enfant.


C.E.R.F. :

Sur la contraception ou les questions de ménopause, à part en consultant un ou une gynécologue, on ne voit pas comment une femme ou un couple peut s’informer sérieusement (et confidentiellement – ce qui n’est pas forcément le cas au Planning) sur les méthodes diverses, avoir les dernières informations sur les pilules, hormones et autres, la disparition de la gynécologie est donc un problème pour toutes les femmes : qu’est-ce que les pouvoirs publics répondent à ce problème, s’ils répondent quelque chose .. ?

Dr Odile Buisson :

La réponse des pouvoirs publics est de former rapidement  un grand nombre de sages-femmes à la gynécologie afin qu’elles soient les premières intervenantes dans la santé des femmes. Ne seront vus en consultation par des médecins gynécologues que les cas compliqués. Ceci dit, les cabinets de sages-femmes augmentent de 3% par an tandis que les cabinets de gynécologie diminuent de 6% par an si bien qu’à terme il s’agit davantage d’un remplacement des gynécologues par des sages-femmes. Or ce n’est pas le même métier donc pas la même compétence.

C.E.R.F. :

Avez- vous un avis sur la méthode « Billings » ?

Dr Odile Buisson :

La méthode de la glaire cervicale est pratique pour savoir quand faire un bébé mais l’inverse est particulièrement aléatoire.

C.E.R.F. :

Les féministes qui s’intéressent aux femmes prostituées, expliquent qu’en raison de la « distance » qu’elles ont avec leur propre corps, elles se soignent plus mal que les autres femmes : avez-vous connaissance de cette question ?

Dr Odile Buisson :

Je pense que c’est vrai  d’une part parce qu’elles ont un rapport particulier avec leur corps et d’autre part parce que les conditions dans lesquelles elles se prostituent sont généralement épouvantables. J’ai toujours pensé que la prostitution devait être encadrée  de respect pour le travail de ces femmes, d’hygiène et de sécurité. C’est la seule manière de supprimer le  stigmate de la « putain »  et d’aider les femmes qui se prostituent à ne pas perdre leur estime de soi. C’est la seule façon de les aider à garder la tête hors de l’eau pour changer de travail dès qu’elles sentent que c’est possible. Il n’y a aucune raison du malheur au malheur.

C.E.R.F. :

Etant donné que le problème de la réduction des coûts des soins est général, pour toute la population, est ce que les femmes ont une petite chance de faire entendre leurs revendications : est ce qu’il existe des études sur l’impact des restrictions par rapport aux économies immédiates … ?

Dr Odile Buisson :

La cour des comptes dit que la diminution du temps d’hospitalisation après l’accouchement est une source d’économie : 2,9 milliard d’euros . C’est effectivement beaucoup mais c’est fait sur le dos des femmes...Pour le reste ils doivent avoir fait leur compte aussi mais je ne dispose pas des chiffres.

C.E.R.F. :

Vous défendez la cause des sages-femmes en montrant que la durée de leurs études et
leurs responsabilités ont été augmentées, sans effet sur leur rémunération : selon vous, quel devrait être leur rôle dans un système « idéal » ?

Dr Odile Buisson :

Dans un système idéal, il devrait y avoir des passerelles universitaires entre différents corps de métier. Le cœur de métier de la sage-femme est la grossesse normale et l’accouchement normal, mais je trouverais normal qu’une sage-femme qui s’intéresse à la gynécologie médicale puisse faire le cursus complet de cette spécialité, soit 4 années supplémentaires. Il me semble que les sages-femmes devraient refuser le plafond de verre et réclamer leur dû. Du reste on ne se permettra d’agir de cette façon avec des professions masculines. C’est bien parce que la professions de sage-femme est à 97% représentée par des femmes qu’on se permet de les former moins pour les payer moins quand il s’agit de leur demander de faire de la gynécologie médicale.