Christine de Pisan

Christine de Pisan

vendredi 25 janvier 2013

Revue du CERF : interview de Marina Vlady






Marina Vlady

Actrice
Signataire du Manifeste des 343



Interview



CERF :  Vous êtes connue comme signataire du manifeste des 343 femmes affirmant avoir avorté,  (publié par le Nouvel Observateur en 1971), vous avez  joué dans le film « Victoire ou la douleur des femmes » (sur le combat pour l’avortement et la contraception- [1]) et dans le film « Tous les papas … » (sur l’homoparentalité - [2]) : vous considérez vous comme féministe et quel sens donnez- vous à ce mot ?

Marina Vlady :  Je suis féministe bien entendu, ma mère l’était. Les féministes sont celles qui ont lutté pour que les femmes aient les droits que nous avons aujourd’hui.

CERF :
Que pensez- vous des mouvements féministes actuels si vous les suivez ?

Marina Vlady :  Je ne participe plus à des mouvements militants, sauf ceux pour les sans-papiers et les sans-toit.

CERF : Que pensez- vous de la situation actuelle des femmes par rapport au droit à la contraception, à l’avortement, et plus généralement, à la liberté dans la vie affective et sexuelle ? Vous avez été mariée très jeune : que pensez- vous aujourd’hui du mariage et de la critique féministe du mariage ?

Marina Vlady : Les libertés se rétrécissent aujourd’hui.   Les jeunes gens n’ont pas compris qu’il  faut se battre, toujours, pour tous les droits. Rien n’est acquis.
Le mariage, s’il est une fin en soi, pour se faire entretenir, n’est à mon avis pas une bonne chose, mais on peut rêver d’être avec quelqu’un pour toute la vie et d’avoir des enfants ensemble.  Ma mère ne voulait pas que je me marie si jeune et que j’ai des enfants si tôt. Mais à 17 ans j’étais naïve : je rêvais d’une grande famille théâtrale, avec des enfants vivant dans l’art du  théâtre …
  
CERF : Avez-vous une opinion sur le mariage homosexuel et les questions liées : accès aux « PMA » (don de sperme) pour les femmes, aux mères porteuses pour les hommes ?

Marina Vlady : Le mariage est une bataille des homosexuels pour obtenir des droits, plus, je pense,  qu’une envie de se marier.  Concernant les mères porteuses, je trouve épouvantable de vendre ainsi son corps parce que l’on est pauvre. A part des cas très particuliers comme l’aide d’une mère pour sa fille. Car l’enfant porté ressent ce que ressent sa mère, vit avec elle, la mère elle aussi… Oui, je dis que c’est épouvantable.  Concernant les femmes qui élèvent des enfants seules, je me pose des questions. J’ai voulu jouer dans le film « Tous les papas … » parce qu’il montre les questions que l’enfant se pose et qu’il pose : «  D’où je viens ? » : dans ce film l’enfant obtient des réponses … Je pense indispensable que rien ne soit caché à l’enfant au sujet de  sa naissance.

CERF :  Partagiez- vous l’opinion de Léon Schwarzenberg au sujet de l’euthanasie : quelle est votre opinion sur les choix de fin de vie ?

Marina Vlady : Je suis tout à fait pour la possibilité de choisir sa mort, comme on l’entend soi-même, - bien sûr il ne s’agit pas de faire de l’euthanasie une règle imposée-. Mais il est vrai que cette possibilité pose un gros problème au niveau de la loi.

CERF : Quand vous étiez en Russie, qu’avez-vous vu de la situation des femmes russes et des homosexuels, et comment la voyez- vous aujourd’hui ?
 
Marina Vlady :  Je ne vis plus en Russie, je ne peux vous répondre que pour les années où j’y ai vécu. La situation des femmes était grave car la contraception n’existait  pratiquement pas. Les femmes avortaient à répétition, plusieurs fois dans leur vie, ce qui est très traumatisant.

CERF : Traumatisant ?

Marina Vlady : Oui, l’avortement est traumatisant :  s’apercevoir que l’on est enceinte alors que l’on ne s’y attends pas est traumatisant, et à moins de ne pas être consciente de ce que l’on a dans le ventre, l’avortement n’est pas une partie de plaisir …  A notre époque, c’était très difficile, avorter clandestinement était terrible.  Quand nous luttions en France pour le droit à la contraception et à l’IVG, nous luttions avant tout pour la contraception, l’avortement devait être la dernière des solutions, mais nous luttions pour sa permission.
Quant à l’homosexualité en URSS,  elle était interdite, totalement prohibée, mais la question ne se posait pas dans notre milieu d’artistes,  où les homosexuels étaient acceptés. J’ai appris avec tristesse qu’aujourd’hui en Russie une loi qui laissera le champs libre à une nouvelle répression des homosexuels a été votée ou est le sur point de l’être.

CERF :   Si vous avez un message, un enseignement à donner aux jeunes filles, aux jeunes femmes d’aujourd’hui,  quel serait- il ?

Marina Vlady : D’être indépendante, de travailler, d’être libre.  Aujourd’hui ce n’est pas facile car il n’y a pas beaucoup de travail pour les jeunes …

CERF :  Et à un jeune homme ?
Marina Vlady : Je dirais la même chose : être indépendant et libre.

CERF :  Si vous aviez l’occasion de parler à une jeune fille voilée, soit venue de famille musulmane soit convertie : que lui diriez- vous ?

Marina Vlady :  Je suis contre le fait de vivre complétement cachée :  visage, mains … C’est une négation de la liberté d’un être humain,  ce doit être angoissant pour elles.  Le fichu est moins grave. Mais est- ce une façon de manifester son appartenance à une communauté ?  Pour les adultes, le choix de l’austérité, le choix que font aussi bonnes sœurs et curés de se sacrifier tout à fait, de se dédier à sa foi est une question de liberté d’opinion très personnelle.   Par contre il est affreux d’entrainer des gosses là-dedans …  

CERF :  Le philosophe Michel Onfray explique  dans une interview sur l’hédonisme , que dans la vie de couple, tout le monde trompe tout le monde, que pour éviter de faire souffrir l’autre il ne faut pas suivre le modèle de transparence de Sartre et Beauvoir mais au contraire cacher ses autres relations : que pensez- vous de cette théorie ?

Marina Vlady : Je lui laisse cette opinion. On peut très bien vivre ensemble sans mensonge. J’ai partagé la vie de Léon Schwarzenberg pendant 23 ans, dans une grande harmonie, c’était transparent et beau. Peut-être  ai-je eu la chance de rencontrer un homme comme lui …

CERF : Quels sont pour vous les engagements les plus importants à prendre aujourd’hui, les problèmes les plus importants pour lesquels les citoyen-nes doivent se mobiliser ?

Marina Vlady : Mon père, qui venait de Russie, s’est engagé volontaire en 1915 comme pilote dans l’armée française pour défendre la liberté, l’égalité et la fraternité !  Pour moi nous devons continuer à défendre :  la liberté, l’égalité et la fraternité !

CERF : Vous avez incarné « La princesse de Clèves » dans le film de Jean Delannoy : qu’avez-vous pensé de la mobilisation pour ce roman, lorsque Nicolas Sarkozy en avait critiqué l’enseignement ? La culture est-elle à votre avis menacée par la loi du marché ou autre, et si oui, à votre avis : que faire ?

Marina Vlady :  Il a fait la meilleure publicité qui soit pour ce merveilleux livre !  Il y a eu de nombreuses lectures publiques,  il n’y a pas très longtemps, j’en ai  moi-même fait une en province. La culture est une des choses les plus importantes, or le Gouvernement baisse de moitié son budget, des compagnies de théatre sont réduites au silence. Que faire ? Il faut plus d’argent pour la culture !

CERF : Quel film russe ou français avez-vous aimé récemment ?

Marina Vlady : Le film « Amour », avec deux comédiens formidables de délicatesse et de modestie. L’histoire d’un couple de 80 ans, qui a eu une vie magnifique. La femme a une attaque cérébrale et perd peu à peu ses facultés, son mari l’accompagne jusqu’au bout…

CERF :  Avez –vous été -ou êtes- vous- croyante ou athée ? Pourriez-vous définir votre idéal, votre vision «  morale », votre vision du sens de la vie ?  Certains religieux reprochent aux humanistes un « vide » moral ou éthique : qu’en pensez- vous ?

Marina Vlady : Je n’ai jamais été croyante aussi loin que je me souvienne. Le reproche fait par ces religieux est tout à fait faux, c’est même le contraire qui est vrai. On  peut être athée et avoir une très forte éthique, une grande morale, donner toute sa place à l’humain, avoir un plus grand respect des autres : on ne considère pas que ceux qui ne croient pas sont maudits ...  Je déteste dans les religions le côté vindicatif, ce Dieu qui donne des ordres et punit. Au contraire, ne pas  croire oblige à avoir une morale encore plus rigoureuse,  puisque l’on est son propre maître.   J’ai trop d’amour pour la vie, pour les humains, pour les animaux, pour ne pas les respecter : je suis une amoureuse de la vie !
En vérité il n’est pas très simple de ne pas croire en Dieu, avoir la foi en un au-delà, se dire que l’on va retrouver des êtres chers est plus simple que de croire qu’il n’y a rien …

CERF : A quand votre retour sur scène ? Et  vos autres projets ?

Marina Vlady :   Vous me verrez en février sur France 2 dans le film « Trois femmes en colère » de Christian Faure , tiré d’un roman de Benoîlte Groult..  Je jouerai prochainement dans une pièce mise en scène par Marcel Maréchal : « Le Cavalier seul » de Jacques Audiberti. J’écris actuellement un portrait de la cinéaste Catherine Binet, compagne de Georges Perec. Catherine Binet a tourné en 1981 «  les Jeux de la Comtesse Dolingen von Gratz » où j’interprétais un  rôle.  Le livre paraitra en mai chez Fayard,   sous le titre : « Je me souviens de Catherine B. »



[1] -Réalisé par Nadine Trintignant en 1999
[2] - « Tous les papas ne font pas pipi debout » réalisé par Dominique Baron en 1998.

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