Interview
CERF : Vous êtes connue
comme signataire du manifeste des 343 femmes
affirmant avoir avorté, (publié par le
Nouvel Observateur en 1971), vous avez
joué dans le film « Victoire ou la douleur des femmes » (sur
le combat pour l’avortement et la contraception- [1])
et dans le film « Tous les papas … » (sur l’homoparentalité - [2]) :
vous considérez vous comme féministe et quel sens donnez- vous à ce mot ?
Marina Vlady : Je suis
féministe bien entendu, ma mère l’était. Les féministes sont celles qui ont
lutté pour que les femmes aient les droits que nous avons aujourd’hui.
CERF :
Que pensez- vous des mouvements féministes actuels si vous les
suivez ?
Marina Vlady : Je ne
participe plus à des mouvements militants, sauf ceux pour les sans-papiers et
les sans-toit.
CERF : Que pensez- vous de la situation actuelle des femmes par
rapport au droit à la contraception, à l’avortement, et plus généralement, à la
liberté dans la vie affective et sexuelle ? Vous avez été mariée très
jeune : que pensez- vous aujourd’hui du mariage et de la critique
féministe du mariage ?
Marina Vlady : Les libertés se rétrécissent aujourd’hui. Les jeunes gens n’ont pas compris qu’il faut se battre, toujours, pour tous les
droits. Rien n’est acquis.
Le mariage, s’il est une fin en
soi, pour se faire entretenir, n’est à mon avis pas une bonne chose, mais on
peut rêver d’être avec quelqu’un pour toute la vie et d’avoir des enfants
ensemble. Ma mère ne voulait pas que je
me marie si jeune et que j’ai des enfants si tôt. Mais à 17 ans j’étais
naïve : je rêvais d’une grande famille théâtrale, avec des enfants vivant
dans l’art du théâtre …
CERF : Avez-vous une opinion sur le mariage homosexuel et les
questions liées : accès aux « PMA » (don de sperme) pour les
femmes, aux mères porteuses pour les hommes ?
Marina Vlady : Le mariage est une bataille des homosexuels
pour obtenir des droits, plus, je pense,
qu’une envie de se marier.
Concernant les mères porteuses, je trouve épouvantable de vendre ainsi
son corps parce que l’on est pauvre. A part des cas très particuliers comme
l’aide d’une mère pour sa fille. Car l’enfant porté ressent ce que ressent sa
mère, vit avec elle, la mère elle aussi… Oui, je dis que c’est
épouvantable. Concernant les femmes qui
élèvent des enfants seules, je me pose des questions. J’ai voulu jouer dans le
film « Tous les papas … » parce qu’il montre les questions que
l’enfant se pose et qu’il pose : « D’où je
viens ? » : dans ce film l’enfant obtient des réponses … Je
pense indispensable que rien ne soit caché à l’enfant au sujet de sa naissance.
CERF : Partagiez- vous
l’opinion de Léon Schwarzenberg au sujet de l’euthanasie : quelle est
votre opinion sur les choix de fin de vie ?
Marina Vlady : Je suis tout à fait pour la possibilité de
choisir sa mort, comme on l’entend soi-même, - bien sûr il ne s’agit pas de
faire de l’euthanasie une règle imposée-. Mais il est vrai que cette
possibilité pose un gros problème au niveau de la loi.
CERF : Quand vous étiez en Russie, qu’avez-vous vu de la situation
des femmes russes et des homosexuels, et comment la voyez- vous
aujourd’hui ?
Marina Vlady : Je ne
vis plus en Russie, je ne peux vous répondre que pour les années où j’y ai
vécu. La situation des femmes était grave car la contraception n’existait pratiquement pas. Les femmes avortaient à
répétition, plusieurs fois dans leur vie, ce qui est très traumatisant.
CERF : Traumatisant ?
Marina Vlady : Oui, l’avortement est traumatisant : s’apercevoir que l’on est enceinte alors que
l’on ne s’y attends pas est traumatisant, et à moins de ne pas être consciente
de ce que l’on a dans le ventre, l’avortement n’est pas une partie de plaisir
… A notre époque, c’était très
difficile, avorter clandestinement était terrible. Quand nous luttions en France pour le droit à
la contraception et à l’IVG, nous luttions avant tout pour la contraception,
l’avortement devait être la dernière des solutions, mais nous luttions pour sa
permission.
Quant à l’homosexualité en
URSS, elle était interdite, totalement
prohibée, mais la question ne se posait pas dans notre milieu d’artistes, où les homosexuels étaient acceptés. J’ai appris avec tristesse qu’aujourd’hui en Russie
une loi qui laissera le champs libre à une nouvelle répression des homosexuels
a été votée ou est le sur point de l’être.
CERF : Si vous avez un
message, un enseignement à donner aux jeunes filles, aux jeunes femmes
d’aujourd’hui, quel serait- il ?
Marina Vlady : D’être indépendante, de travailler, d’être
libre. Aujourd’hui ce n’est pas facile
car il n’y a pas beaucoup de travail pour les jeunes …
CERF : Et à un jeune
homme ?
Marina Vlady : Je dirais la même chose : être indépendant
et libre.
CERF : Si vous aviez
l’occasion de parler à une jeune fille voilée, soit venue de famille musulmane
soit convertie : que lui diriez- vous ?
Marina Vlady : Je suis
contre le fait de vivre complétement cachée : visage, mains … C’est une négation de la
liberté d’un être humain, ce doit être
angoissant pour elles. Le fichu est
moins grave. Mais est- ce une façon de manifester son appartenance à une
communauté ? Pour les adultes, le
choix de l’austérité, le choix que font aussi bonnes sœurs et curés de se
sacrifier tout à fait, de se dédier à sa foi est une question de liberté
d’opinion très personnelle. Par contre
il est affreux d’entrainer des gosses là-dedans …
CERF : Le philosophe Michel
Onfray explique dans une interview sur
l’hédonisme , que dans la vie de couple, tout le monde trompe tout le monde,
que pour éviter de faire souffrir l’autre il ne faut pas suivre le modèle de
transparence de Sartre et Beauvoir mais au contraire cacher ses autres
relations : que pensez- vous de cette théorie ?
Marina Vlady : Je lui laisse cette opinion. On peut très bien
vivre ensemble sans mensonge. J’ai partagé la vie de Léon Schwarzenberg pendant
23 ans, dans une grande harmonie, c’était transparent et beau. Peut-être ai-je eu la chance de rencontrer un homme
comme lui …
CERF : Quels sont pour vous les engagements les plus importants à
prendre aujourd’hui, les problèmes les plus importants pour lesquels les
citoyen-nes doivent se mobiliser ?
Marina Vlady : Mon père, qui venait de Russie, s’est engagé
volontaire en 1915 comme pilote dans l’armée française pour défendre la
liberté, l’égalité et la fraternité !
Pour moi nous devons continuer à défendre : la liberté, l’égalité et la fraternité !
CERF : Vous avez incarné « La princesse de
Clèves » dans le film de Jean Delannoy : qu’avez-vous pensé de
la mobilisation pour ce roman, lorsque Nicolas Sarkozy en avait critiqué
l’enseignement ? La culture est-elle à votre avis menacée par la loi du
marché ou autre, et si oui, à votre avis : que faire ?
Marina Vlady : Il a
fait la meilleure publicité qui soit pour ce merveilleux livre ! Il y a eu de nombreuses lectures
publiques, il n’y a pas très longtemps,
j’en ai moi-même fait une en province.
La culture est une des choses les plus importantes, or le Gouvernement baisse
de moitié son budget, des compagnies de théatre sont réduites au silence. Que
faire ? Il faut plus d’argent pour la culture !
CERF : Quel film russe ou français avez-vous aimé récemment ?
Marina Vlady : Le film « Amour », avec deux
comédiens formidables de délicatesse et de modestie. L’histoire d’un couple de
80 ans, qui a eu une vie magnifique. La femme a une attaque cérébrale et perd
peu à peu ses facultés, son mari l’accompagne jusqu’au bout…
CERF : Avez –vous été -ou
êtes- vous- croyante ou athée ? Pourriez-vous définir votre idéal, votre
vision « morale », votre vision du sens de la vie ? Certains religieux reprochent aux humanistes
un « vide » moral ou éthique : qu’en pensez- vous ?
Marina Vlady : Je n’ai jamais été croyante aussi loin que je
me souvienne. Le reproche fait par ces religieux est tout à fait faux, c’est
même le contraire qui est vrai. On peut
être athée et avoir une très forte éthique, une grande morale, donner toute sa
place à l’humain, avoir un plus grand respect des autres : on ne considère
pas que ceux qui ne croient pas sont maudits ... Je déteste dans les religions le côté
vindicatif, ce Dieu qui donne des ordres et punit. Au contraire, ne pas croire oblige à avoir une morale encore plus
rigoureuse, puisque l’on est son propre
maître. J’ai trop d’amour pour la vie,
pour les humains, pour les animaux, pour ne pas les respecter : je suis une
amoureuse de la vie !
En vérité il n’est pas très
simple de ne pas croire en Dieu, avoir la foi en un au-delà, se dire que l’on
va retrouver des êtres chers est plus simple que de croire qu’il n’y a rien …
CERF : A quand votre retour sur scène ? Et vos autres projets ?
Marina Vlady : Vous me
verrez en février sur France 2 dans le film « Trois femmes en
colère » de Christian Faure , tiré d’un roman de Benoîlte
Groult.. Je jouerai prochainement dans
une pièce mise en scène par Marcel Maréchal : « Le Cavalier
seul » de Jacques Audiberti. J’écris actuellement un portrait de la
cinéaste Catherine Binet, compagne de Georges Perec. Catherine Binet a tourné
en 1981 « les Jeux de la Comtesse Dolingen von Gratz » où
j’interprétais un rôle. Le livre paraitra en mai chez Fayard, sous le titre : « Je me souviens
de Catherine B. »
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