Christine de Pisan

Christine de Pisan

vendredi 2 mai 2014

Bernard Golse chef du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker RESIDENCE ALTERNEE




RESIDENCE ALTERNEE PAR BERNARD GOLSE 

2011 
A qui profite la résidence alternée ?
LE MONDE | 14.12.2011 à 14h18 • Mis à jour le 22.12.2011 à 09h52 | Par Bernard Golse, pédopsychiatre-psychanalyste 
La question passionnelle de la résidence alternée pour les enfants de couples séparés me fait souvent penser à celle des rythmes scolaires où, sous couvert de l'intérêt premier des enfants, il ne s'agit au fond que de la préservation de l'intérêt ou du narcissisme des adultes. Si, dans quelques rares situations, cette disposition peut s'avérer utile pour l'enfant, il y faut nombre de conditions, qui ne sont en rien respectées dans la loi de mars 2002, qu'il faudrait amender mais que la proposition de loi Mallié-Decool durcit encore.
Le 15 avril 2010, j'ai été invité par Richard Mallié et Jean-Pierre Decool à un petit-déjeuner de travail pour parler de la proposition de loi que ces députés UMP et leur collègue Rémi Delatte souhaitaient déposer, afin que la résidence alternée puisse être mise en oeuvre plus fréquemment et plus systématiquement.
J'avais alors précisé que cette mesure ne saurait s'appliquer aux enfants de moins de 3 ans environ (2 ans et demi pour les uns, 3 ans et demi voire 4 ans pour d'autres), qui ont d'abord et avant tout besoin de se forger une figure principale d'attachement comme fondement de leur sécurité interne.
J'ajoutais que cette mesure ne pouvait se penser que dans des conditions bien précises - notamment quant au rythme raisonnable de l'alternance et quant à la proximité du domicile des deux parents -, et surtout si, et seulement si, elle était souhaitée, en bonne intelligence, par les deux parents.
Quelques mois ont passé, et j'ai eu la faiblesse de croire que mes propos avaient eu un certain écho… Ce n'était que pure naïveté de ma part puisque non seulement cette proposition de loi va être à nouveau soumise à discussion, mais qu'il aura fallu que je me mette très en colère pour que mon nom soit enfin retiré des attendus de ce projet absurde, voire scandaleux.
En effet, dans les motifs de justification de la proposition de loi, M. Mallié me faisait dire ce que je n'avais jamais dit, et encore moins pensé, à savoir qu'après l'âge de 2 ans et demi, la résidence alternée serait "profitable" à l'enfant, autrement dit souhaitable !
Ce que je crois, essentiellement, c'est que la polémique à propos de la résidence alternée est une stricte affaire d'adultes qui n'ont rigoureusement que faire de l'intérêt premier de l'enfant.
Hormis quelques cas d'entente suffisamment bonne entre les parents, la plupart du temps la résidence alternée se trouve prise dans les conflits mêmes qui ont motivé la séparation et qui lui survivent parfois longtemps. Il ne s'agit le plus souvent que d'un moyen de continuer à se déchirer sur le dos de l'enfant dont l'intérêt premier passe à la trappe. Comme dans le cas de cet enfant d'à peine 2 ans que j'ai suivi et qui faisait, chaque semaine, plus de mille kilomètres en train pour passer du domicile d'un parent à l'autre !
Certains parents veulent l'imposer en pensant que l'amour que l'enfant leur porte n'est qu'une question de temps passé ensemble, quand ce n'est pas pour des raisons purement financières. Mais ils oublient qu'être l'enjeu de parents qui ne s'entendent pas ou se déchirent est bien plus dévastateur pour l'enfant qu'une dissymétrie des temps de résidence.
Mais le narcissisme est plus fort que tout, et l'invocation du "syndrome d'aliénation parentale", pur fantasme d'une nosographie psychiatrique prétendument moderne qui ne repose sur aucune base scientifique, ne fait que recouvrir l'agressivité et les carences des adultes sous les oripeaux d'une fallacieuse scientificité.
Il y a mille et une manières de nuire aux enfants, et elles sont toutes répréhensibles, mais elles le sont encore plus quand elles se cachent derrière une pseudo-attention à leur intérêt premier, car l'agressivité se double alors d'une inadmissible hypocrisie.
Une fois de plus, on sent bien les effets de l'ambivalence envers les enfants et envers l'enfance, ambivalence qui meut certains lobbies de parents haineux ou esseulés et dont la garde de l'enfant n'est plus que la dernière arme envers leur ancien conjoint, et le gage d'une réassurance personnelle qui néglige, sans vergogne aucune, les besoins fondamentaux des enfants dont ils ont pourtant la responsabilité.
Cette loi à visée purement démagogique et électoraliste risque malheureusement de voir le jour, et les juges pourront ainsi imposer - plus encore qu'ils ne le font déjà trop souvent - la résidence alternée à des parents qui ne sont aucunement en mesure de la faire fonctionner de manière harmonieuse. Mais les apparences seront sauves : les parents seront traités à égalité, et on pourra même se faire croire que cela est bon pour les enfants. Populisme oblige !
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Bernard Golse est chef du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker (Paris).

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